
Cette maladie porte son mauvais augure lorsque des tâches, reconnaissables au premier coup d’oeil, apparaissent sur les feuilles. Pugnace, le fléau n’épargne alors aucun vignoble.
Un comité scientifique est dépêché pour étudier et trouver un remède à ce désastre qui détruit massivement une économie importante du pays. Le coupable est vite désigné comme un puceron – baptisé Phylloxera Vastatrix par le professeur montpelliérain Jules-Émile Planchon, en 1869. L’insecte est d’autant plus difficile à neutraliser qu’il prend plusieurs formes grâce à plusieurs mues. Sous forme de puceron, il est radicicole et s’attaque aux racines de la plante en suçant sa sève. Une fois métamorphosé en insecte ailé, il est dit gallicole, vivant et pondant sur les feuilles.
Alors que ce nuisible ronge et détruit tout sur son passage, la seule solution au mal consiste à détruire les plants de vigne et avec eux, toute l’économie qui en dépend. Le drame n’épargne personne dans le cognaçais, territoire dont la prospérité repose en grande partie sur le négoce de l’eau-de-vie. Des milliers d’hectares sont détruits, des domaines s’écroulent et des familles pâtissent longtemps des méfaits de ce puceron venu d’Amérique.
Tout est tenté et chacun y va de sa fantaisie. On concocte ainsi des remèdes plus inefficaces les uns que les autres ; retenons la “mousse céleste” dont la nature demeure jusqu’à aujourd’hui mystérieusement subtile, ou les “pestivores” qui n’eurent pas l’appétit gargantuesque qu’on attendait d’eux. D’autres plus portés sur la science moderne proposent l’utilisation de gaz divers, de tabac, d’huiles ou encore de cubes gélatineux. Il est question de vacciner ou même de transplanter de la sève saine dans les pieds malades.
La prophylaxie miraculeuse eut naturellement voix au chapitre et l’abbé Verdun préconisa de placer autour des ceps un collier en pierre calcaire cruciforme imbibée de camphre. L’État qui avait promis une généreuse récompense à l’inventeur d’une solution n’eut, hélas, rien à débourser.
Pourtant, sur plus de 5000 propositions reçues, trois s’étaient démarquées en avançant des pistes intéressantes. La submersion était efficace en plaine mais impossible sur les coteaux. L’injection de sulfure de carbone, en plus de ne pas être complètement létale sur les insectes, demeurait un procédé toxique. La dernière proposition, les porte-greffes, s’avéra être la plus efficace. Le mal importé d’Amérique fut soigné par un remède compatriote, consistant à greffer à un cépage local un plant texan et très résistant, le berlandieri. Ce greffage permettait – et permet encore – de multiplier artificiellement des végétaux par l’union d’une partie d’une plante (greffon) et d’une partie d’une autre (porte-greffe ou sujet) en vue d’obtenir un seul individu, et tout en conservant leurs caractéristiques spécifiques propres.
Pour sauver le vignoble d’une disparition annoncée, le greffage portait donc tous les espoirs d’une filière. Les pépiniéristes se démenèrent pour parvenir à élever et protéger ce qui allait former une nouvelle génération de vignes et de cépages.
Grâce à la richesse de son sol, Nercillac devint le centre névralgique de cette activité. Au sortir de cette crise, la surface des terres cultivées en vigne diminua fortement.
Désoeuvrés et appauvris, les viticulteurs durent s’adapter et changèrent de métier, devenant maraîchers, carriers, éleveurs, partant à la ville chercher du travail dans les industries, d’autres s’exilant à l’étranger.
Les terres viticoles, abandonnées, furent cédées aux paysans du Poitou, du Limousin et de Vendée qui y cultivèrent les céréales ou y élevèrent du bétail. Les familles vendéennes notamment, arrivèrent en nombre et participèrent à la reconversion d’une partie de l’agriculture régionale en production laitière.
Néanmoins, cette crise accoucha de nouvelles professions, dont celle de pépiniériste viticole. On compte aujourd’hui sur la commune de Nercillac huit pépiniéristes produisant entre 20 et 25% de la production actuelle de plans en Charente. Si ces sites sont bien sûr réservés aux professionnels, ils n’en demeurent pas moins les représentants d’un savoir-faire et d’un patrimoine qui constituent une part importante de l’identité du territoire du Grand Cognac.