Construit entre 1875 et 1880 pour la maison Vert & Cie, ce grand bâtiment se veut dans l’air du temps. Terminé les parements de pierres de taille et les charpentes entièrement faites de bois, place à la modernité ! Les expositions universelles donnent le ton et inspirent les industriels qui se tournent vers l’acier, le verre et la brique qu’ils font accommoder avec les matériaux traditionnels, à la manière des gares. Si ce n’est que l’usage et les préoccupations ne sont pas les mêmes.
Le bâtiment s’inscrit ici sur une disposition en T distribuant jusque dans la seconde moitié du XXe siècle des chais d’assemblage, de vieillissement et de réserve ainsi que des tonneaux et des foudres centenaires dans l’aile principale, à l’étage. C’est la plus importante partie du bâtiment, rythmée par des baies inscrites en 17 travées. Au rez-de-chaussée sont également la distillerie et le bureau du maître de chais. Face à ce bureau, une coursive en mezzanine permettait la mise en bouteille par gravité, depuis les foudres à l’étage supérieur vers la chaîne de mise en bouteille au rez-de-chaussée.
Afin de garantir l’hygiène et de faciliter l’entretien des chais, maçonneries et charpentes sont généreusement chaulées jusqu’au milieu du XXe siècle ce qui permet de tuer les bactéries, de neutraliser le gaz carbonique et d’éloigner les insectes nuisibles.
Un élégant comptoir Art Nouveau accueillait les viticulteurs désireux de vendre leurs récoltes à la maison de négoce qui changea par trois fois de main. Si dans un premier temps la maison est développée par Baptiste Vert – qui lui donne le nom de Maison Vert & Cie -, il doit céder son activité pour cause de faillite en 1875. C’est la firme Ets Tiffon, avec à sa tête Sverre Braastad, qui se porte acquéreur et devient nouveau propriétaire.
Le mariage d’Édith Rousseau, petite fille de Médéric, va faire passer l’entreprise dans de nouvelles mains. Séduite par le charme scandinave d’un Norvégien venu, comme nombre de ses compatriotes, tenter sa chance dans le cognaçais, Édith épouse Sverre Braastad. Alors âgé de 20 ans, il reprend l’entreprise Tiffon en 1919 puis rachète les chais de la maison Vert & Cie en 1926 avec l’aide financière de l’État norvégien.
Vingt ans plus tard, Sverre a suffisamment bien mené sa barque (ou sa gabare) pour acquérir le château de Triac le 4 décembre 1946. Il y vécut tout le reste de sa longue vie puisqu’il y mourut centenaire en 1979. Toujours propriété de la famille Braastad, c’est aujourd’hui la 6e génération issue de la même famille qui gère la maison de cognac aujourd’hui et qui fait usage du bâtiment.
À la veille de la deuxième Guerre Mondiale, le monde du cognac doit adapter son organisation à des changements conséquents. Le chemin de fer rivalise depuis la fin du XIXe siècle avec les autres modes de transport et les maisons de négoce doivent peu à peu renoncer à la voie fluviale. La maison Tiffon effectue son dernier chargement d’eau-de-vie sur une gabare en 1936, ce transport pour le cognac disparaîtra tout à fait au lendemain de la guerre.
Si aujourd’hui les cognacs Grande Réserve et Vieille Réserve sont assemblés au château de Triac, le bâtiment Tiffon, aujourd’hui ouvert à la visite, n’en reste pas moins emblématique du passé culturel et industriel de la Charente. Témoin de la modernisation, il préserve le souvenir du commerce intense qui anima longtemps le fleuve.
